Le monde ouvrier : état des lieux

À bien des égards, le terme ouvrier peut sembler vieux jeu pour certains. On nous expliquerait presque, pour un peu, que les classes sociales n’existent plus et il faut dire aussi que l’industrie française, qui en comptait un grand nombre il y a encore 30 ans, bat clairement de l’aile. Toutefois, lors d’une enquête menée par Martin Thibault, sociologue du travail à l’université de Limoges (source Le Monde 2016), ce dernier a pu se rendre compte de certaines réalités. Ses recherches ont été menées au sein de la RATP, et ce, au plus près des agents de maintenance.

Un constat sans appel

Dès le début de son enquête sur le terme même « d’ouvrier », Martin Thibault a pu se rendre compte de certains détails saisissants. En se rapprochant de la RATP, la réponse qui lui a été donnée fut que l’entreprise ne comptait pas d’ouvriers dans ses rangs. C’est un détail assez troublant qui ne peut être ignoré. Autrement dit, les agents de la RATP qu’ils visaient ne se considéraient aucunement comme des ouvriers. Pourtant, sous les nuances de vocabulaire, les réalités de certains métiers sautaient aux yeux du sociologue : une exigence physique accrue et une répétition des tâches à longueur de journées très standardisées sont des éléments suffisants pour évoquer la situation ouvrière, a fortiori quand lesdites activités sont menées dans des hangars où il fait soit très chaud ou à contrario très froid.

De la poudre aux yeux

Il n’y a guère d’autres mots pour qualifier ce qui se passe au sein de certaines entreprises et certains entrepôts de grande distribution. Le terme ouvrier est relégué aux oubliettes et remplacé par des termes plus flatteurs. La modernité adore se servir du politiquement correct pour camoufler les réalités. Toutefois, « chassez le naturel, il revient au galop » dit l’adage, sous des appellations revampés, le travail en lui-même ne change pas d’un poil. Le vrai problème est que les travailleurs, qu’ils soient agent de maintenance, préparateurs de commandes ou caristes, ne se considèrent plus comme des ouvriers.

À titre d’exemple, les salariés du géant Amazon n’emploient pas non plus le terme ouvrier, mais plutôt celui des « associates ». Employés, agents, finalement, on se demande bien comment le terme ouvrier est défini de nos jours. Si les ouvriers eux-mêmes l’ignorent, cela devient plutôt ambigu. Est-il devenu péjoratif d’être appelé ouvrier au point de bannir ce mot de son vocabulaire ? Fallait-il que la classe des manœuvres soit, à ce point, déclassée ou ostraciser pour ne plus s’en revendiquer ?

Des chiffres révélateurs

Selon un rapport de l’Insee, on trouve encore sur le sol français pas moins de 6,3 millions d’ouvriers. Caissière, Maçon, soudeurs, commis de cuisine, ostréiculteurs, jardinier, chauffeurs, tous, sans exception, appartiennent à la classe ouvrière. Ajoutons qu’ils sont répartis dans différentes catégories (qualifiés, non qualifiés et agricoles). Mais ,pour en revenir au titre de notre article, en près de 60 ans, ce chiffre a connu une baisse drastique. Dans les années 1970, les ouvriers occupaient environ 40 % des emplois, et ce chiffre ne fait que baisser année après année. La mécanisation a joué, la désindustrialisation aussi. Pour le reste, les ouvriers n’ont pas disparu, c’est juste que les métiers ont évolué et que les termes utilisés pour les désigner prêtent à confusion. C’est aussi sans doute que les syndicats, hors administration, ont perdu en partie de leur impact.